L’affaire Snowden¶
Il fut un temps où le simple fait de mettre sur écoute un parti politique adverse valait la démission d’un président des États-Unis. Aujourd’hui, un tel procédé est devenu une pratique courante et a très largement dépassé les murs du seul Watergate, à en croire les révélations du lanceur d’alerte Edward Snowden. Voici un résumé de l’affaire en quelques points-clés.
Ex-employé de la CIA et informaticien surdoué, l’Américain Edward Snowden, 30 ans, travaille alors comme prestataire externe à la National Security Agency (NSA), principale agence de renseignement américaine, pour laquelle il gère le tri d’informations recueillies électroniquement dans le monde entier.
Edward Snowden a révélé au grand public l’existence de programmes de surveillance de masse, orchestrés dans le monde entier par la NSA et d’autres services d’espionnage des gouvernements américain et britannique. Les documents fournis par l’informaticien ont notamment mis au jour le programme PRISM, qui permet à la NSA d’accéder aux communications d’internautes hors des États-Unis via différentes entreprises du numérique (Microsoft, Apple, Google, Yahoo!, Facebook, Skype, AOL). Edward Snowden a également dévoilé l’interception des communications de diverses personnalités politiques, dont la mise sur écoute du portable d’Angela Merkel.
En 2013, soit une dizaine d’années après les attentats du World Trade Center. Depuis cet événement, les États-Unis ont intensifié la surveillance des communications téléphoniques et numériques, aussi bien dans leur pays qu’à l’étranger. Sous prétexte de lutte contre le terrorisme, ils ont créé tout un arsenal juridique qui permet à la NSA d’aller au-delà de ses prérogatives. Ainsi, l’agence de renseignement en vient à collecter les données de grandes entreprises du numérique et d’opérateurs de télécommunication nationaux et internationaux, avec ou sans leur accord.
Edward Snowden affirme être tombé par hasard sur un «rapport secret» de la NSA qui détaille la façon dont le gouvernement américain contourne la loi pour autoriser la surveillance de masse. En tant que responsable des réseaux internes de la NSA, l’informaticien dispose d’un accès privilégié aux documents de cette agence et se met en quête de réponses. Il découvre des documents classifiés qu’il transmet à quelques journalistes de grands titres de presse, notamment The Guardian, Der Spiegel, The Washington Post, The New York Times et El País.
Edward Snowden affirme avoir agi dans l’intérêt des citoyens, estimant que la surveillance allait trop loin. Il souhaitait alerter l’opinion publique sur les pratiques exercées par ces agences. En effet, au lieu de cibler des individus précis, les agences gouvernementales ont commencé à récolter des informations en masse, plus faciles à collecter et trier grâce à la disponibilité de nouvelles données numériques et à la puissance des algorithmes.
Après la divulgation des documents par la presse, les États-Unis ont inculpé Edward Snowden pour espionnage, vol de données et violation du secret professionnel. Traître pour le gouvernement américain, lanceur d’alerte pour l’opinion publique, Edward Snowden s’est exilé en Russie, un des seuls pays à oser résister à la justice américaine.
Si la NSA n’a pas été démantelée, en 2015, le sénat américain a voté le USA Freedom Act, une nouvelle loi sur la sécurité intérieure qui vient remplacer le Patriot Act de 2001 et limite les pouvoirs de surveillance de la NSA. Malgré tout, la surveillance numérique a toujours cours et les événements terroristes de ces dernières années n’ont fait qu’augmenter la volonté des États de se doter de nouveaux instruments de surveillance.
Les révélations d’Edward Snowden sont les premières à apporter les preuves d’une surveillance de masse orchestrée par les gouvernements américain et britannique impliquant des entreprises du numérique. Ces révélations ont montré l’ampleur de l’atteinte portée aux libertés individuelles au travers de dispositifs technologiques complexes. Tout message, conversation ou donnée est susceptible d’être collecté.
Le retentissement mondial de cette affaire a eu pour conséquence de faire émerger la problématique de la surveillance dans le débat public. Certains pays, telle que l’Allemagne, ont réexaminé leurs propres pratiques de renseignement. à l’échelle européenne, l’affaire a permis l’avancement des négociations sur le règlement général sur la protection des données (RGPD), entré en vigueur en 2018. Par ailleurs, de plus en plus de services numériques proposent des communications chiffrées (entre autres, WhatsApp, iMessage, Signal, Telegram).
Ces révélations amènent également à questionner la gouvernance d’Internet et le rôle prépondérant joué par les états-Unis, un pays qui s’érige en fervent défenseur de la liberté d’expression et de l’Internet libre, et qui pourtant, n’hésite pas à intercepter les communications de millions d’individus.
Et en Suisse?
La Suisse n’est pas épargnée par la surveillance de masse. L’affaire la plus importante est certainement le scandale des fiches. Au cours des années 1980, les autorités suisses ont mis en place un dispositif de surveillance de la population à large échelle. Plus de 900’000 personnes «fichées» faisaient l’objet d’une surveillance plus ou moins active. L’objectif affiché était de protéger le pays de la «menace communiste», dans le contexte de la Guerre froide. Révélée en 1989, cette affaire suscita l’indignation et ébranla la confiance entre les citoyens et l’État.
Depuis ce scandale, un tel fichage de la population n’existe plus. Cependant, la menace terroriste incite la Suisse, comme d’autres pays, à se doter de nouveaux outils législatifs qui permettent d’étendre la portée de la surveillance d’État. Les opposants à ces mesures dénoncent le risque d’une surveillance sans indices concrets d’une activité illégale et s’inquiètent du non-respect des droits fondamentaux.
Références¶
Le film documentaire Citizenfour de Laura Poitras (2014)
Un article sur ce que les révélations d’Edward Snowden ont changé (Le Monde)
Un petit guide sur la surveillance de masse (Amnesty International)
Un article de la chercheuse Francesca Musiani sur les enjeux autour de ces révélations
Une conférence de Glenn Greenwald, l’un des premiers journalistes qui publia les révélations de Snowden (sous-titres disponibles en français)
Glossaire¶
Surveillance de masse
Lanceur·euse d’alerte
Programme PRISM
Edward Snowden
En classe¶
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Par petits groupes, demander aux élèves de faire une recherche en ligne sur l’affaire Snowden afin de répondre aux questions suivantes :
a) Qui est Edward Snowden?
b) Qu’a-t-il révélé?
c) Comment a-t-il procédé?
d) Quel est le lien entre ces révélations et les attentats du 11 septembre 2001?
e) Quelle était l’implication des entreprises du numérique dans cette affaire?
f) En quoi les révélations d’Edward Snowden nous concernent-elles ici et aujourd’hui?
g) Qu’est-ce qu’un «lanceur d’alerte»?
Réponse
Les réponses aux question a) à f) figurent dans les pages 1 et 2. Question g) : Selon la définition donnée par Amnesty International, un lanceur d’alerte est «une personne qui, dans le contexte de sa relation de travail, révèle ou signale un état de fait mettant en lumière des comportements illicites ou dangereux qui constituent une menace pour l’homme, l’économie, la société, l’État ou l’environnement, c’est-à-dire pour le bien commun, l’intérêt général».
Il existe des lanceurs d’alerte dans de nombreux domaines mais les noms couramment associés à celui de Snowden sont :
Julian Assange, fondateur du média Wikileaks qui, dès 2010, publie des documents classifiés démontrant les agissements et bavures de l’armée américaine en Irak et en Afghanistan.
Chelsea Manning, ancienne analyste militaire qui a fait fuité des milliers de documents confidentiels sur l’armée américaine via Wikileaks.
Montrer le dessin ci-dessous et poser les questions suivantes:
h) Que représente ce dessin?
Réponse
Deux personnages sont présents sur l’image. Le premier, assis face à son ordinateur, un casque audio sur la tête, interpelle le second, debout derrière lui (en costume, un dossier sous le bras), qui semble être son supérieur. La bulle jaune retranscrit le son issu du casque, visiblement une conversation téléphonique («J’arrive… je suis dans le bus») que le personnage est en train d’écouter. Celui-ci indique à son chef que la conversation est sans intérêt, à moins qu’elle ne soit codée.
Le titre «USA: écoutes téléphoniques généralisées pour lutter contre le terrorisme» permet de resituer le contexte de ce dessin paru au moment des premières révélations d’Edward Snowden, en juin 2013. Les personnages représentent donc certainement des agents de la NSA, la principale agence de renseignement américaine au cœur de cette affaire.
i) Quel message souhaite faire passer ce dessin?
Réponse
Cette caricature montre, comme l’a révélé Edward Snowden, que toute personne et toute conversation, même la plus anodine, peut être surveillée par la NSA.
Le dessin dénonce également l’absurdité et l’inefficacité d’un tel dispositif en regard de l’objectif affiché, soit la lutte contre le terrorisme. Il souligne la paranoïa qui entoure ces mesures et qui laisserait penser que toute conversation banale serait potentiellement «cryptée», justifiant ainsi une intrusion dans la vie privée des individus.
Activité complémentaire
Faire visionner un extrait du documentaire Citizen Four (2014) de Laura Poitras (6’04’’- 8’45’’).
Cet extrait est celui d’une conférence donnée par William Binney, ex-employé de la NSA, spécialiste du chiffrement et de l’analyse de données.
Poser les questions suivantes:
a) Quel événement a provoqué le programme de surveillance de masse aux États-Unis ?
Réponse
Binney insiste sur le fait que le programme a été lancé quelques jours seulement après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, sous l’égide du président George W. Bush.
b) Pourquoi le gouvernement a-t-il fait appel à William Binney?
Réponse
En 2001, il était l’une des seules personnes qui travaillait sur l’analyse de données massives à la NSA. Il y développait un programme d’analyse automatisée de métadonnées qui suscita l’intérêt du gouvernement dans le cadre de la mise en place d’une surveillance de la population, suite aux attentats du 11 septembre
c) Par quelles instances le programme Stellar Wind aurait-il été autorisé ?
Réponse
Le programme Stellar Wind, qui comprenait notamment la surveillance des citoyens américains via les données des principales entreprises de télécommunications (dont AT&T), a été autorisé par la direction de la NSA, de la CIA et le Département de la Justice. Bon nombre d’intervenants en haut lieu étaient au courant de l’existence du programme de surveillance de masse.
d) William Binney et trois autres de ses confrères à la CIA donnent deux raisons à leurs efforts d’attirer l’attention de leur hiérarchie sur ce programme : lesquelles ?
Réponse
D’une part, cette surveillance est anticonstitutionnelle ; d’autre part, ce programme est supervisé par le Département de la justice.
e) Quelles ont été les réponses données par la hiérarchie à ces démarches d’objection de la part de Binney et ses collègues?
Réponse
Ils ont été menacés et sommés de se taire